L.E.A – Avocats : Agent commercial, Négocier

L’article L. 134-1, 1er alinéa, du code de commerce définit l’agent commercial :

« L’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale. »

Certaines décisions de justice ont cru devoir refuser à des mandataires la qualité d’agent commercial au prix d’une interprétation erronée de la mission de négociation qui caractérise l’agent, en particulier en énonçant que pour être agent commercial, il faudrait avoir le pouvoir de faire varier les conditions commerciales du mandant, en particulier ses tarifs.

Cette fausse argumentation est :

– un contresens juridique,

– un contresens historique,

– un contresens économique.

Un contresens juridique :

La définition même d’un mandataire, donnée par l’article 1989 du code civil, est de ne rien pouvoir faire de contraire aux instructions du mandant :

Article 1989 du code civil :

« Le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat… »

L’article 3 de la Directive européenne n°86-653 du 18 décembre 1986, dont est issu le droit français des agents commerciaux, le confirme :

« Article 3

  1. L’agent commercial doit, dans l’exercice de ses activités, veiller aux intérêts du commettant et agir loyalement et de bonne foi.
  2. En particulier, l’agent commercial doit :

a/ s’employer comme il se doit à la négociation et le cas échéant, à la conclusion des opérations dont il est chargé ;

b/ de communiquer au mandant toute information nécessaire dont il dispose ;

c/ se conformer aux instructions raisonnables données par le commettant. »

En rapprochant le paragraphe 2.a/ du paragraphe 2.c/, on voit que la négociation est parfaitement compatible avec le fait de se conformer aux instructions commerciales du mandant.

C’est d’ailleurs précisément pour conserver la maîtrise des conditions commerciales (notamment tarifaires) faites aux clients qu’un industriel choisit d’avoir recours à un agent commercial, mandataire.

Sans quoi, il choisirait un partenaire acheteur/revendeur (tel un concessionnaire par exemple) qui est libre de sa politique commerciale.

En outre, assimiler la négociation à la faculté de modifier les prix, c’est la confondre avec la définition de marchandage : « Marchander : tâcher d’obtenir à meilleur marché ».

Or, l’article L. 134-1 du code de commerce ne définit pas l’agent commercial comme un mandataire chargé de « marchander » mais bien de négocier.

 La mission de l’agent commercial n’est donc pas de modifier les prix du mandant.

Un contresens historique :

La mission de négociation de l’agent commercial n’a jamais exigé qu’il faille modifier les prix du mandant.

Il faut se souvenir qu’en France, jusqu’en 1986, les prix étaient administrés (c’est l’ordonnance du 1er décembre 1986 qui a rétabli la liberté des prix). Par hypothèse, les négociations ne portaient donc pas, avant cette date, sur les prix.

Pourtant :

– il existait bien déjà des négociations pour convaincre les clients de choisir tel fournisseur plutôt qu’un concurrent ;

– et il existait des agents commerciaux : dont le statut était alors régi par un décret du 23 décembre 1958.

On voit donc bien que la modification des prix du mandant n’a jamais été un critère du statut d’agent commercial.

Un contresens économique :

Ceux qui voudraient subordonner la qualité d’agent commercial au fait pour le mandataire de modifier les conditions commerciales du mandant ne voient pas que cette modification se fera dans le sens d’une dégradation des conditions commerciales du mandant (car on ne connaît pas de client réclamant des hausses de prix).

Or, la mission de l’agent commercial, recruté et rémunéré par le mandant, est évidemment de négocier dans l’intérêt du mandant l’obtention de commandes de la part des clients, et non pas de négocier pour le compte des clients afin d’arracher des remises au mandant.

Le travail de négociation de l’agent commercial est donc de faire en sorte que l’offre du mandant reçoive une acceptation du client.

C’est discuter pour convaincre les prospects qui n’y sont nullement tenus :

– du besoin qu’ils ont des produits ou services qui leur sont proposés,

– de choisir le mandant comme fournisseur plutôt que tel concurrent,

– de commander toute la gamme ou telles références,

– d’en commander un carton, une palette, un container…

Tant de choses qui caractérisent déjà la négociation en dehors même de toute diminution du prix.

C’est pourquoi les décisions ci-dessous, conformes au droit et au bon sens, méritent d’être citées :

 Cour d’appel de Paris, 30 mai 2013 :                                                                                  

« …l’article L. 134-1 prévoit que l’agent commercial doit être un mandataire exerçant à titre indépendant qui est chargé de négocier voire de conclure des contrats sans pour autant limiter cette capacité de négocier au seul élément de prix »

Cour d’appel de Rennes, 26 février 2013 :                                                                                                    

« …le pouvoir de négocier les contrats ne se réduit pas à celui de fixer le prix des marchandises ou services, lequel dépend de la politique commerciale adoptée par le mandant à laquelle l’agent doit se conformer. En l’espèce, il n’est pas sérieusement discuté que [l’agent] disposait d’un mandat permanent de visiter, au nom [du mandant], la clientèle potentielle, de lui présenter de manière attractive les produits de cette société et de provoquer et recueillir les commandes à des conditions conformes aux instructions du mandant et à sa capacité de production mais aussi aux besoins et exigences des clients, ce qui s’analysait en un pouvoir de négociation de contrats de vente conférés par un producteur industriel ou commerçant à un mandataire indépendant au sens de l’article L. 134-1 précité. »

Tribunal de Commerce d’Angers, 3 décembre 2014 :                                                                                

« [le mandant] se base sur le fait que [l’agent] vendait les produits [du mandant] au tarif catalogue pour en conclure que [l’agent] n’avait pas de pouvoir de négociation et qu’[il] n’était pas agent commercial.

Cet argument signifierait qu’il faille obligatoirement baisser les prix pour négocier et donc être agent commercial.

Vendre les produits [du Mandant] au prix normal n’est pas la preuve que [l’agent] ne négociait pas et n’en avait pas le pouvoir et le Tribunal ne peut qu’écarter ce moyen de défense [du Mandant]…

Confier à [l’agent] la possibilité de prospecter la clientèle sur un territoire et de poursuivre par des prises de commandes commissionnées est la preuve du pouvoir de négociation que [le mandant] lui a confié. »

Tribunal de commerce de Lyon, 15 octobre 2010 :                                                                                     

Le Tribunal relève que : « dans son article 5, le contrat définit l’obligation du mandataire… qui en particulier consiste à établir tous contacts commerciaux avec tous clients potentiels, à prendre des commandes pour le compte du mandant, à condition que lesdites commandes correspondent aux prix de cessions et aux barèmes de remises du mandant. »

Le Tribunal constate que : « … [l’agent] a visité ces prospects au nom et pour le compte [du mandant], leur a présenté les produits de [celui-ci] et a conduit la négociation »

et : « le Tribunal constatera que le contrat conclu entre [l’agent] et [le mandant] confère à [l’agent] la qualité d’agent commercial. »

Cour d’appel de Toulouse, 23 mars 1998 :                                                                                                    

« [le mandant] insiste sur l’absence de liberté de [l’agent] qui ne pouvait pas proposer de prix différents que ceux du tarif ou les termes du contrat de vente, ces négociations lui restant réservées ;

Mais que ces données concernent l’étendue du mandat et non le principe du mandat. »

 Enfin, on sait que le contrat d’agent commercial est décrit comme un mandat d’intérêt commun, c’est-à-dire que le mandant et l’agent travaillent exactement dans le même objectif de constituer une part de marché et réaliser un chiffre d’affaires à leur profit mutuel :

– le mandant, parce qu’il encaisse ce chiffre d’affaires,

– l’agent, parce qu’il est commissionné sur ce chiffre d’affaires.

Or, l’argument selon lequel il faudrait à l’agent faire baisser les prix du mandant aboutirait au contraire à un antagonisme entre le mandant et l’agent :

– Alors que l’intérêt du mandant est de vendre au prix le plus haut, l’intérêt de l’agent aboutirait à modifier les prix du mandant à la baisse pour pouvoir accéder au statut légal.

– Du mandat d’intérêt commun, on basculerait donc vers un mandat d’intérêts divergents.

On voit l’aboutissement absurde de ce raisonnement qui renverse l’essence même du mandat d’agent commercial.

L’absurde est à son comble lorsqu’on constate que la jurisprudence juge l’agent commercial gravement fautif lorsqu’il modifie unilatéralement les conditions tarifaires de son mandant (Cass. com. 25 juin 2013, n°11-25528)

Ainsi, selon ce faux raisonnement, il faudrait que l’agent ait modifié les prix du mandant pour bénéficier du statut légal… mais sitôt qu’il l’aurait fait, il serait jugé gravement fautif et privé de tous droits notamment à indemnisation.

Ceci conduirait donc, ni plus ni moins, à la neutralisation systématique du statut et donc à sa disparition.

Il est particulièrement nécessaire que la profession d’agent commercial s’emploie à combattre toute dénaturation de son statut.

Antoine SIMON, Avocat associé

L.E.A – Avocats